20 décembre 1928
Mon cher ami,
Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes, celle qui veut faire croire aux hommes « qu’il y a quelque chose DE MIEUX sur la terre », toute la cochonnerie des divins enfants, des messes de suif, de stuc et de fumier, des congratulations réciproques, des embrassades des poux à sang froid sous le gui. Je hais les marchands de cochon et d’hosties, leur charcuterie, leur mine réjouie. La neige de ce jour-là est un mensonge, la musique des cloches est crasseuse, bonne au cou des vaches. Je hais toutes les fêtes parce qu’elles m’ont obligé à sourire sans conviction, à rire comme un singe, à ne pas croire, à ne pas croire possible la joie constante de ceux que j’aime. Le bonheur leur est une surprise.
Et puis, votre lettre me désole. Comment n’avez-vous pas pu vous procurer les disques que je vous indiquais. N’importe quelle maison un peu moderne de disques de Marseille, de Paris, vous les procurerait en quelques jours. Et j’y tenais tant. Enfin, dites-moi tout de suite si je dois vous les faire envoyer par des amis ? Si votre gros Dumont s’adresse à ses fournisseurs habituels, il est peu probable qu’on les lui procure. Il y a partout, dans les Cahiers du Sud, N.R.F., Variétés, etc., des annonces de marchands « à la page », comme on dit.
Mais je dois avoir ces jours-ci la visite d’une amie très au courant de ce genre de recherches et qui m’est très dévouée. Elle sera sûrement très heureuse de vous les trouver tous. Et très vite. Sinon, vous allez vous ruiner en achats au petit bonheur. Tous les petits marchands à la Dumont tiennent à se débarrasser de leur stock et laissent en panne, intentionnellement, les nouvelles commandes.
J’ai eu la visite ces jours-ci de Arp et de Max Ernst. Entendu pour votre tableau. Nelli m’a écrit. Il fait un froid solide.
Vous ne me dites pas si vous avez Les Malheurs des Immortels. Chantiers est bien long à paraître. J’en suis fort curieux.
Croyez-moi très affectueusement vôtre,
Paul ELUARD.
(En marge de la première page) :
Pourquoi faut-il que la joie des enfants soit pour ce jour-là et souvent ce jour-là seulement et souvent jamais.
Paul Eluard
in, Lettres à Joë Bousquet
Les Editeurs Français Réunis (1973)
Paul Eluard photo du Net |
Il est bien ronchon Eluard. Se sentait-il obligé de fêter Noël avec sa famille des intimes ou des inconnus? Possible. Noël fait partie des civilités d'usage comme "Bonjour. Merci. Comment allez-vous. Veuillez m'excuser etc..." auxquelles on n'échappe pas.C'est le vivre ensemble. :-). Noël c'est cela en plus élaboré et mis en scène par une communion sociétale dans tous les registres du banal "vivre ensemble".
RépondreSupprimerUne "nécessité" d'aller m'emmerder un soir, tous les ans le 24 pour remplir mes actes de civilité de la même façon qu'il m'emmerde de dire bonjour à certains et d'échanger avec d'autres qui me gonflent car je n'y vois aucun intérêt.
Cela étant, à choisir, je préfère Noël au feu d'artifice du 13 novembre. Mais en ce temps là Eluard n'avait pas ce genre de soucis. CR
Tu me fais rire cher Cristian ! A ronchon, ronchon et demie, et je connais bien tes ronchonneries !
SupprimerCeci dit, j'ai déjà beaucoup écrit sur Noël et le Jour de l'An, des poèmes comme des billets d'humeur. Et tu sais ce que je pense. Pourquoi il en est ainsi.
Quant à toi, je m'étonne que tu acceptes de te plier à ces civilités qui "t'emmerdent", serais-tu un brin faux-cul ? Et ta liberté alors ?
Merci de m'avoir fait rire et.... Joyeux Noël !!!!!
Nul n'est parfait. Et je ne prétends pas à la perfection. Oui je cède aux civilités pour les plus nécessiteux. :)CR
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