vendredi 4 mai 2018
René Char et Alberto Giacometti
Le Visage nuptial suivi de Retour amont
Préface de Marie-Claude Char. Illustrations d'Alberto Giacometti
Visage nuptial
À présent disparais, mon escorte, debout dans la distance;
La douceur du nombre vient de se détruire.
Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.
Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.
J’aime.
L’eau est lourde à un jour de la source.
La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton front,
dimension rassurée.
Et moi semblable à toi,
Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,
J’abats les vestiges,
Atteint, sain de clarté.
Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos;
Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubre
De voix vitreuses, de départs lapidés.
Tôt soustrait au flux des lésions inventives
(La pioche de l’aigle lance haut le sang évasé)
Sur un destin présent j’ai mené mes franchises
Vers l’azur multivalve, la granitique dissidence.
Ô voûte d’effusion sur la couronne de son ventre,
Murmure de dot noire!
Ô mouvement tari de sa diction!
Nativité, guidez les insoumis, qu’ils découvrent leur base,
L’amande croyable au lendemain neuf.
Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les fusées
vagues parmi la peur soutenue des chiens.
Au passé les micas du deuil sur ton visage.
Vitre inextinguible: mon souffle affleurait déjà l’amitié
de ta blessure,
Armait ta royauté inapparente.
Et des lèvres du brouillard descendit notre plaisir
au seuil de dune, au toit d’acier.
La conscience augmentait l’appareil frémissant deta permanence;
La simplicité fidèle s’étendit partout.
Timbre de la devise matinale, morte saison
de l’étoile précoce,
Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé.
Assez baisé le crin nubile des céréales:
La cardeuse, l’opiniâtre, nos confins la soumettent.
Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux:
Je touche le fond d’un retour compact.
Ruisseaux, neume des morts anfractueux,
Vous qui suivez le ciel aride,
Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir
de la désertion,
Donnant contre vos études salubres.
Au sein du toit le pain suffoque à porter coeur et lueur.
Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable,
Sens s’éveiller l’obscure plantation.
Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessécher,
s’emplir de ronces;
Je ne verrai pas l’empuse te succéder dans ta serre;
Je ne verrai pas l’approche des baladins inquiéter
le jour renaissant;
Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se suffire.
Chimères, nous sommes montés au plateau.
Le silex frissonnait sous les sarments de l’espace;
La parole, lasse de défoncer, buvait au débarcadère angélique.
Nulle farouche survivance:
L’horizon des routes jusqu’à l’afflux de rosée,
L’intime dénouement de l’irréparable.
Voici le sable mort, voici le corps sauvé:
La Femme respire, l’Homme se tient debout
Conduite
Passe. La bêche sidérale autrefois là s’est engouffrée. Ce soir un village d’oiseaux très haut exulte et passe.
Écoute aux tempes rocheuses des présences dispersées le mot qui fera ton sommeil chaud comme un arbre de septembre.
Vois bouger l’entrelacement des certitudes arrivées près de nous à leur quintessence, ma Fourche, ma Soif anxieuse !
La rigueur de vivre se rode sans cesse à convoiter l’exil. Par une fine pluie d’amande, mêlée de liberté docile, ta gardienne alchimie s’est produite, ô Bien aimée !
Gravité
L ‘Emmuré.
S’il respire il pense à l’encoche
Dans la tendre chaux confidente
Où ses mains du soir étendent ton corps.
Le laurier l’épuise,
La privation le consolide.
O toi, la monotone absente,
La fileuse de salpêtre,
Derrière des épaisseurs fixes
Une échelle sans âge déploie ton voile !
Tu vas nue, constellée d’échardes,
Secrète, tiède et disponible,
Attachée au sol indolent,
Mais l’intime de l’homme abrupt dans sa prison.
A te mordre les jours grandissent,
Plus arides, plus imprenables que les nuages qui se déchirent au fond des os.
J’ai pesé de tout mon désir
Sur ta beauté matinale
Pour qu’elle éclate et se sauve.
L’ont suivie l’alcool sans rois mages,
Le battement de ton triangle,
La main-d’oeuvre de tes yeux
Et le gravier debout sur l’algue.
Un parfum d’insolation
Protège ce qui va éclore
Post-scriptum
Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche;
A vos pieds je suis né, mais vous m’avez perdu
Mes feux ont trop précisé leur royaume;
Mon trésor a coulé contre votre billot.
Le désert comme asile au seul tison suave
Jamais ne m’a nommé, jamais ne m’a rendu.
Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche :
Le trèfle de la passion est de fer dans ma main.
Dans la stupeur de l’air où s’ouvrent mes allées,
Le temps émondera peu à peu mon visage,
Comme un cheval sans fin dans un labour aigri.
Ce sont les quatre poèmes de Char dont il envoya les manuscrits à Giacometti qui fit sept dessins aux crayons de couleurs.
RENÉ CHAR
Le Visage nuptial suivi de Retour amont
Préface de Marie-Claude Char. Illustrations d'Alberto Giacometti
Collection Poésie/Gallimard (n° 531), Gallimard
Parution : 15-03-2018
Née au temps du surréalisme, l'amitié qui liait René Char et Alberto Giacometti n'a cessé de se renforcer et de s'affirmer plus active et créative à partir de 1946, au point qu'il n'est pas exagéré de dire qu'ils devinrent dès lors l'un pour l'autre des «alliés substantiels», au sens que le poète donnait à cette expression.
Char consacre un texte à Giacometti dans Recherche de la base et du sommet. Giacometti réalise un portrait de Char. Ils échangent dédicaces, lettres et dessins. Mais leur entente se révèle surtout quand ils participent à une œuvre commune, ce dont témoignent précisément deux ouvrages dissemblables : le manuscrit enluminé de Visage nuptial et l'édition de luxe de Retour amont. Le premier date de 1963, l'écriture calligraphiée de Char y est accompagnée par sept dessins de Giacometti, d'une facture inhabituelle puisque l'artiste use ici de crayons de couleur. Le second date de 1965, le texte typographié par Guy Lévis Mano est illustré par quatre eaux-fortes.
En publiant ces deux œuvres à la suite, ainsi qu'une longue lettre inédite de Giacometti à Char, qui évoque la dynamique de leur collaboration, Poésie/Gallimard entend poursuivre le dialogue essentiel entre les poètes et les peintres déjà ébauché dans la collection avec Braque, Arp, Éluard, Man Ray, Zao Wou-Ki, Leiris, Masson, Miró, Reverdy, Picasso, et bien sûr René Char, le plus présent en ce domaine.
Sur le site Gallimard
Lire aussi l'Hommage à René Char
http://www.gallimard.fr/Actualites/Hommage-a-Rene-Char
"À l’occasion du 30e anniversaire de la mort de René Char (19 février 1988) et des 70 ans de la parution de Fureur et mystère (septembre 1948), retrouvez l'univers du poète à travers de nombreuses manifestations."
"À l’occasion du trentième anniversaire de la mort de René Char, la Galerie Gallimard propose du 21 mars au 14 avril 2018 une exposition consacrée à l’auteur des Feuillets d’Hypnos.
Cette exposition se déploie en deux espaces : l’un consacré à la collaboration de René Char avec son ami Alberto Giacometti, notamment autour du Visage nuptial et de Retour Amont (Poésie/Gallimard) l’autre, à la parution en 1948, il y a soixante-dix ans, du grand recueil de René Char, Fureur et mystère. Éditions de luxe, estampes, documents originaux rares ou inédits sont ainsi présentés en hommage au poète.
« René Char, Alberto Giacometti : une conversation souveraine ». Exposition présentée du 21 mars au 14 avril 2018, à la Galerie Gallimard à Paris. "
Exposition proposée par Marie-Claude Char.
EXPOSITION « RENÉ CHAR. L’HOMME QUI MARCHE DANS UN RAYON DE SOLEIL »
« René Char. L’homme qui marche dans un rayon de soleil ». Exposition présentée du 23 mars au 10 juin 2018, au Musée Angladon et à la Bibliothèque Ceccano en Avignon.
L'exposition est présentée du 23 mars au 10 juin 2018, au Musée Angladon et à la Bibliothèque Ceccano en Avignon.
À travers cette manifestation, il s'agit tout à la fois de célébrer les paysages poétiques de René Char, d'éclairer les liens du poète avec les éléments, de témoigner de la modernité de son œuvre et de la faire connaître au public. Source vivante d'inspiration, cette poésie fait naître aussi des œuvres contemporaines qui entrent en résonance avec elle. Ainsi, L'Homme qui marchait dans un rayon de soleil, (Les Temps moderne, 1949) est devenu « L'homme qui marche dans un rayon de soleil ».
En partenariat avec la Ville d’Avignon, la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et Marie-Claude Char.
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