vendredi 15 août 2014

Graffitis, tags et tatouages ( Cristian Ronsman )

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Graffitis, tags, et tatouages
A l’origine, quand j’ai voulu aborder ce sujet, c’est l’ordre que je pensais respecter. Jusqu’à ce que je tombasse récemment sur cet article consacré au tatouage paru dans le N° 81, été 2014, de la revue « Philosophie ». Aussitôt, je changeai de cap et c’est par le tatouage que je décidai de commencer mon sujet. Et de remonter ensuite en sens inverse vers les tags et graffitis. Ce qui n’est pas un problème .
Le tatouage !
Le sujet n’a rien de nouveau en soi. En revanche la nouveauté réside dans l’ampleur actuelle du phénomène qui semble épargner bien peu de gens sur son passage.
Dans l’article en question, on notait, sans l’ombre d’une hésitation, que le tatouage avait acquis aujourd’hui une telle importance qu’on pouvait aisément parler d’un effet de mode.
L’ennui avec les modes est que par définition elles arrivent trop tard. Par définition, elles sont en retard sur ce qu’on appelait autrefois « l’avant-garde ». Ainsi, cette même expression « avant-garde » par une ironie du sort que réserve toute mode, est elle-même ringarde et en conséquence passée de mode.
Non! Ce qu’il convient comme il a toujours convenu, c’est d’être « tendance ». La tendance est en amont de la mode. Et quand celle-ci apparaît les « tendancieux » (jeu de mots) ne se plient en rien à la mode qu’ils auraient d’aventure suscitée. Ils se retirent pour mieux se creuser le cerveau afin de découvrir une nouvelle tendance.
Car la tendance c’est tendre vers et en même temps tirer les autres vers. En ce sens la tendance est plus proche du dandysme qui s’apparente à l’excentricité que de la vulgarité du snobisme qui professe l’imitation et la fausse élégance.
Mais revenons donc au tatouage qui, en dépit d’une longue histoire commencée dans le néolithique, avait disparu au XXème siècle sauf dans quelques cercles particuliers (tatouage d’identification du bétail, à Auschwitz, chez les yakuzas ou dans le cercle fermé de la mafia russe et les taulards et mauvais garçons de nos zonzons).
Alors comment expliquer ce retour en force du tatouage qui touche toutes les couches de la population, les diverses CSP y compris les CSP+ et les différentes tranches d’âge (il n’est pas rare de voir des ménagères de 50 ans bien sonnés et plus exhiber un joli dauphin sur le haut de l’épaule avec une distinction qui laisserait pantoise la baronne de Rothschild en personne, laquelle, si cela se trouve, je n’en serais guère étonné, s’en est fait incrusté "un beau dans la peau".
Il semblerait, à en croire l’immense majorité des intéressés, qu’il s’agit avant tout d’un critère esthétique et donc d’une motivation artistique. J’ai beau relire le traité « Aesthetica » de Baumgarten, me tourner vers Kant, Hegel et Nietzsche, philosophes qui se sont longuement penché sur la notion d’esthétique qui allait bouleverser l’historicité de l’Art, mais je ne vois rien concernant le tatouage.
Du coup, j’en reviens à l’article assez exhaustif de la revue « Philosophie » et signé par Alexandre Lacroix, rédacteur en chef de la revue.
Ainsi j’apprends qu’en France, on compterait environ sept millions de tatoués et comme toute épidémie, liée à une mode virale, « ce chiffre va selon toute vraisemblance augmenter fortement dans les décennies à venir ».
Lacroix plus délicat que moi parle de « vogue ». C’est moins péjoratif, et cela évoque un magazine à la mode mais c’est du pareil au même.
Il souligne en outre que dans le champ des sciences humaines, aucune étude sérieuse, à l’exception d’un article de Pierre Clastres (anthropologue et ethnologue français décédé en 2004), n’a été entreprise. Mais il s’avère, d’après Clastres que si l’on se base sur différents types de sociétés, on se rend compte que le tatouage est la manifestation d’un signe d’appartenance, d’allégeance encadrée souvent par un rite initiatique.
Bien évidemment, il n’est pas question de soupçonner un instant que la motivation essentielles de nos tatoués soit un signe d’appartenance. Même si c’est assez tentant eu égard à ce qu’il est convenu d’appeler « un manque de repères » de nos contemporains dans ce monde en errance (en déshérence comme disent les cuistres qui veulent faire genre en usant d’un vocabulaire qu’ils ne maitrisent pas ni ne comprennent, mais en raison d’une confusion entre deux phonèmes)
Du reste, Lacroix nous explique que c’est tout l’inverse. Il s’agit bien au contraire de s’arracher à la loi du groupe et manifester sa singularité. Je veux bien mais ils sont plus de sept millions et selon les prédicateurs en évolution exponentielle !
Toutefois, je ne suis pas contrariant et j’admets cette hypothèse.
Ainsi donc le tatoué veut montrer sa différence. Mais de quelle différence s’agit-il ? Une de plus. Comme si on n’avait pas déjà suffisamment de différences de par le monde qu’il nous est impossible de concilier.
Mais, bon. Je suis tatoué car je veux marquer ma différence. Cela étant Alexandre Lacroix poursuit prudemment en disant que les choses ne sont pas aussi simples que cela !
Il va donc interroger un certain Tin-Tin (Je pense que c’est un pseudo. A vérifier, mais j’ai pas le temps), véritable Professeur Christiaan Barnard du tatouage. A l’enseigne il devrait figurer sa devise : « Ce qui est tatoué est à moué »
On ne peut, nous fait comprendre Tin-Tin, enfermer le tatouage dans un stéréotype (celui de Clastres) et qu’étant universel il s’agit au contraire de s’arracher à la loi du groupe et que même s’il y a davantage de tatouages moutonniers qu’excentriques, cela ne renvoie plus une image de déviance ou de marginalité.
Dommage (c’est mon commentaire !)
On en déduit en conséquence que si le stéréotype de Clastres ne tient pas, celle de l’appartenance à un groupe déterminé avec ses codes et lois, celui du tatouage moutonnier renvoie à un groupe à dimension universel. Donc une mode !
La question est donc : Pourquoi cette mode et y adhérer? On verra plus loin si j’en ai le temps et l’envie, le lien avec le graffiti qu’on appelle aujourd’hui le tag.
(Ne pas confondre le tag à Bastia avec le tag à Basquiat !)
C’est ici qu’entre en jeu la justification artistique.
Il s’agirait, en l’occurrence, si l’on en croit les tatoueurs et tatoués, d’une fonction autobiographique (je raconte ma vie sur mon corps) ou encore, plus subtil, de l’impression cutanée de fragments épars d’une autobio-iconographie sauvage.
On commence enfin à deviner qu’au-delà de ce charabia aporétique se cache une raison, psychanalytiquement profonde, reliée à un problème identitaire.
Problème identitaire qui n’est pas sans rapport avec la nécessité d’appartenance ou plus exactement de reconnaissance de la communauté des tatoués, nécessité que l’on vit dans une volonté d’individuation.
Il y a donc bien de ce fait une expression de tradition initiatique qui s’élabore dans une anarchie universelle.
De sorte qu’on finira bien un jour par se demander dans un premier temps si un non-tatoué est bien normal, dans un deuxième temps si on ne doit pas le rééduquer et dans un troisième temps, le dernier, faute de progrès, carrément l’éliminer ?
En attendant, ce qui est intéressant dans ce problème identitaire c’est le chemin pris par la fibre de la création artistique qui semble animer sept millions de français. (Je vous rassure, tout le monde ne veut pas être tatoué, il y a aussi ceux qui veulent être écrivain, ceux qui veulent passer à la télévision etc… Sacré Andy, quel visionnaire).
Comme on le verra ultérieurement beaucoup d’entre eux sont des « anciens » graffeurs Ce qui devient intéressant à ce stade, c’est le changement de support.
Le support n’est plus la toile du peintre, il n’est plus l’espace du sculpteur, du plasticien ou du performer. Non il est le corps même de l’artiste.
L’instrument, l’instrumentiste et l’œuvre se confondent. Mais en même temps une question angoissante se pose. Celle de la pérennité de l’œuvre. Entre ceux qui seront bouffés par les asticots par amour de Spinoza et ceux qui veulent se bénéficier de la crémation, quelle place reste-t-il à l’œuvre et son immortalité ?
A moins que celle-ci n’ait aucune importance dès lors que mort on ne peut être spectateur de sa propre immortalité représentée par le chef d’œuvre qu’on se trimballe à longueur de journée.
On voit bien ici jusqu’où et dans quelle impasse peut conduire les déviances de ce qu’on appelle l’Art contemporain. Ou « art du en même temps que ».
On est enfin arrivé avec le tatouage à l’une des plus fabuleuses inventions, faute de mieux et par épuisement, celle du « support-surface ».
Le « support surface » qui va permettre à l’œuvre non pas d’être mais d’exister.
Je vais pouvoir en me tatouant ex-ister. Être moi et en dehors de moi. Cette notion existentielle marque bien la volonté de faire disparaître l’essence qui ne précède en rien l’existence. Voilà une question ontologique sous l’angle du tatouage qui n’est pas dénuée d’intérêt. Renvoyant du même coup à la certitude d’un cogito qui, par le fait que je pense le doute, car si je pense je doute, me permet d’avancer, sans complexe, que j’existe ! Bon courage !!!!
C'est fou comme on peut confondre réalité et Réel!
Or donc, le support-surface est totalement cartésien !
Je me rends compte que de ce fait je fais plaisir à Kant. Millediou (comme dit le vigneron sulfateur) !
J’avoue que ce narcissisme me laisse pantois !
Le corps le dispute à l’œuvre. Plus que jamais je suis plus important que ce que je crée car j’en suis le véhicule, le musée. Et en outre, à contre courant de la toile posée n’importe où, jetée à terre, car je suis debout. A 45° certes mais debout.
Je suis peint par-dessus et en dedans. Il n’y a plus d’au-delà. Je suis l’œuvre et au-delà d’elle. Je suis l’envers de mon endroit ! Je suis double et unique ! Je suis en plus un véritable happening.
Et puis, surtout, identique aux autres, je leur suis totalement différent !
Voilà pour ce syndrome dissociatif dont nul n’est à l’abri.
Je reviendrai plus tard sur les passerelles que vous devinez entre tatouages et graffitis. Et je m'efforcerai, quoique!, de vous montrer le côté réactionnaire du tag ou graffiti et subséquemment du tatouage.
A moins qu’entre temps je ne vous parle de Soulages et de son musée de Rodez.Ce n'est pas impossible, j'y vais très prochainement.


© Cristian Ronsman
14 août 2014
Tous droits réservés
Protégé par copyright

2 commentaires:

  1. Pour une fois, je ne peux commenter.
    Cristian

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    Réponses
    1. Modestie oblige... mais j'en profite pour te remercier de tous les autres commentaires !

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