vendredi 15 août 2014

Lettre posthume de Stieg Larssons

Stieg Larsson (15 août 1954 – 9 novembre 2004), journaliste et écrivain suédois rendu célèbre par la publication posthume de sa série Millénium, a préparé, en 1977, avant son départ pour un voyage en Afrique, une lettre d’adieu à sa compagne Eva Gabrielsson. Sur l’enveloppe, une mention : « A n’ouvrir qu’après ma mort. » Vingt-sept ans plus tard, la lettre délivrait son flot épistolaire ; magnifique message posthume à la femme de sa vie.




Le 9 février 1977, Stockholm
Eva, mon amour,
C’est fini. D’une façon ou d’une autre, tout a une fin. Tout se termine un jour ou l’autre. C’est peut-être l’une des vérités les plus fascinantes que nous connaissions à propos de l’univers tout entier. Les étoiles meurent, les galaxies meurent, les planètes meurent. Et les gens meurent aussi. Je n’ai jamais été croyant, mais le jour où j’ai commencé à m’intéresser à l’astronomie, je pense que j’ai abandonné ce qui restait de ma peur de la mort. J’avais compris que, comparé à l’univers, un être humain, un seul être humain, moi… est infiniment petit. Enfin, je n’écris pas cette lettre pour donner une profonde leçon de philosophie ou de religion. Je l’écris pour te dire « adieu ». Je viens de raccrocher le téléphone où je te parlais. Je peux toujours entendre le son de ta voix. Je t’imagine, devant mes yeux… une belle image, un ravissant souvenir que je garderai jusqu’à la fin. A ce moment précis, en lisant ma lettre, tu sais que je suis mort.
Je veux que tu saches certaines choses. Comme je m’en vais pour l’Afrique, je sais ce qui m’attend. J’ai même le sentiment que ce voyage pourrait bien me tuer, mais c’est quelque chose que je dois faire, malgré tout. Je ne suis pas né pour rester assis sur un accoudoir. Je ne suis pas comme ça. Correction : je n’étais pas comme ça… Je ne vais pas en Afrique seulement en tant que journaliste, j’y vais surtout dans un but politique, et c’est pourquoi je pense que ce voyage pourrait causer ma mort.
C’est la première fois que je t’écris en sachant exactement quoi dire : je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je veux que tu le saches. Je veux que tu saches que je t’aime plus que je n’ai jamais aimé personne. Je veux que tu saches que je dis ça très sérieusement. Je veux que tu te souviennes de moi mais que tu ne me pleures pas. Si je suis vraiment important pour toi, et je sais que je le suis, tu souffriras probablement en apprenant que je suis mort. Mais si je suis vraiment important pour toi, ne souffre pas, je ne veux pas que tu souffres. Ne m’oublie pas, mais continue à vivre. Vis ta vie. Le temps atténuera la douleur, même si c’est dur de l’imaginer maintenant. Vis en paix, mon plus cher amour ; vis, aime, hais, et continue le combat…
J’avais beaucoup de défauts, je sais, mais aussi quelques bonnes qualités également, je l’espère. Mais toi, Eva, tu m’inspires tellement d’amour que je n’ai jamais été capable de te l’exprimer…
Redresse-toi, carre tes épaules, tiens ta tête haute. D’accord ? Prends soin de toi, Eva. Va prendre une tasse de café. C’est fini. Merci pour les moments magnifiques passés ensemble. Tu m’as rendu très heureux. Adieu [en français dans le texte].
Je te dis au-revoir Eva, je t’embrasse
De Stieg, avec mon amour.

1 commentaire:

  1. Voilà une lettre d'adieu d'une dignité que tout homme devrait atteindre à l'approche du moment fatal. Ce n'est guère facile et il faut pardonner à ceux qui ne le peuvent. Mais Stieg Larssons est un exemple à méditer. Le degré de pudeur et de retenue d'une grande élégance est élevée à un point qui n'a d'égal que l'amour qu'il portait à Eva et qui lui rendait bien. Pour Stieg depuis longtemps on ne peut plus rien pour Eva souhaitons lui le meilleur, elle l'a mérité dans tous les sens du terme.

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